Lundi 3 Août 2015.

Je suis un marcheur immobile qui pérégrine dans le sillon de l’histoire.

Depuis hier, vous le savez à présent, marcher est devenu impossible. Trop dangereux. Pour autant, je demeure pèlerin. Différemment.

Je n’atteindrai donc pas Mouch, véritable centre de gravité d’une Arménie rayonnante et résistante. Sa plaine, ses contreforts, ses monastères engloutis. Cependant, je peux vous partager quelques pans de son histoire fantastique.

Connaissez-vous l’homéliaire de Mouch ? C’est le plus grand manuscrit religieux arménien. Il date du tout début du XIIIème siècle. Il est aujourd’hui conservé à Yerevan, au Matenadaran, cet incomparable conservatoire et centre de recherche des manuscrits arméniens. On peut aussi voir une partie de cet homéliaire sous vitrine, exposé aux yeux ébahis des visiteurs.

Chaque double page de ce manuscrit est écrite sur la peau d’un seul mouton, en lettres capitales calligraphiées par le maître Vartan, enluminé par un autre maître nommée Hovhanès.

Cet incroyable « livre », qui donne accès à la compréhension de la liturgie arménienne, pèse 28 kg. A l’origine, il était composé de 660 pages.

L’histoire de son sauvetage est proprement incroyable. Dans la plus grande confusion, en 1915, alors que se déroulent les tueries et les destructions, deux femmes ont transporté ce manuscrit unique sur des centaines de kilomètres. Trop lourd et trop volumineux pour un seul dos. Elles l’ont alors divisé en deux parties, chacune portant ainsi 14 kg.

Partant de Mouch, elles firent étape à Erzeroum, où l’une des sauveteuses décéda. Elle fut enterrée sur place dans la cour du monastère avec la moitié du manuscrit qu’elle transportait, tandis que l’autre femme poursuivit sa route jusqu’à Etchmiadzine, sauvant ainsi l’autre moitié du manuscrit qu’elle transportait.

En 1918 les soldats russes parviennent jusqu’à Erzeroum. Ils y retrouvent la partie manquante de l’homéliaire et l’emmènent à Tiflis -Tbilissi- en Géorgie. Loin de vouloir le sauvegarder, ils tentèrent sans succès de le vendre. Néanmoins plusieurs parties de l’œuvre ont été découpées et endommagées. Ce sont vraisemblablement des enluminures ou des miniatures qui, elles, pouvaient être vendues plus facilement.

En 1929, le gouvernement soviétique arménien a demandé et obtenu des autorités soviétiques géorgiennes la restitution de du manuscrit. C’est ainsi que les deux parties de l’homéliaire de Mouch ont été réunifiées.

Seule une partie de cet homéliaire de 660 pages est exposé au Matenadaran. Dix-sept pages de l’original sont également conservées par les pères mekhitaristes à Venise. L’abbé du monastère des Saints Apôtres de Mouch, où étaient à l’origine conservé l’homéliaire les aurait en effet offertes à des voyageurs de la congrégation mekhitariste.

L’histoire incroyable du sauvetage de l’homéliaire de Mouch symbolise d’une certaine manière celle du sauvetage des rescapés Arméniens.

Ce fantastique homéliaire symbolise également l’incroyable histoire de la civilisation arménienne.

Autrefois, avant même l’introduction du christianisme en Arménie, Achtichat (Mouch) était un centre politique et religieux très important.

C’est ici que se situe « la tradition de la refondation de l’Église d’Arménie par saint Grégoire l’Illuminateur, dont la prédication, au début du IVe siècle, a entraîné la conversion du roi Tiridate IV et de son royaume au christianisme ; cette prédication s’est tout particulièrement ancrée dans cette région, où aurait été élevée la première église fondée par l’Illuminateur, précisément à Achdichad, qui avait été auparavant l’un des grands sanctuaires de l’Arménie païenne » rapporte l’Union Internationale des organisations Terre et Culture.

Venant dans cette région, Saint Grégoire emmena avec lui les reliques d’un saint cappadocien de Césarée, Athenogène, ainsi qu’une partie des reliques de Saint Jean-Baptiste. Ces reliques ont été réparties dans plusieurs lieux de dévotion des environs. C’est ainsi que progressivement a été fondé l’un des couvents médiévaux les plus illustres de l’histoire du christianisme arménien : le monastère Sourp Garabed – Saint Jean-Baptiste, dit le Précurseur- de Mouch.

Ce monastère est devenu le lieu de pèlerinage le plus important de l’histoire arménienne jusqu’en 1915 (…) Aujourd’hui il n’en reste que des ruines. « Encore visibles dans les années 1970, elles ont servi systématiquement de carrière. Les autorités y ont installé par la suite, comme en beaucoup d’endroits, des populations déplacées  qui ont exploité le reste des décombres pour bâtir au milieu d’elles des habitations de fortune. Il ne reste de nos jours que quelques pans de murs et parties de voûtes de cet exceptionnel ensemble » indique l’Union Internationale des organisations Terre et Culture.

J’aimerai à présent dédicacer cette journée de pèlerinage à Jacques Avakian.

« Jacques, tu viens de me rejoindre sur ce sentier escarpé des mémoires englouties. Tu avais à coeur toi aussi de venir marcher pour honorer la mémoire de nos chers disparus et la mémoire cilicienne de tes propres aïeuls. Faute de pouvoir cheminer avec moi pas à pas, tu demeures pèlerin dans les méandres de ton histoire, là où s’est enracinée cette part d’humanité que tu incarnes. Sois le bienvenu. »

Qu’il me soit aussi permis de dédicacer cette journée à une amie commune, Maria, demeurée en France.

« Maria, tu voulais aussi venir marcher pour la mémoire de tes aïeuls. Cela n’a pas été possible, mais nous pensons à toi aussi dans pérégrination. »

 

 

A demain.