Mercredi 15 juillet 2015.
Iğdir se rapproche ! Le mont Ararat n’est plus très loin. J’ai parcouru exactement vingt-deux kilomètres à pied, en quatre heures vingt-huit. A cela s’ajoutent trois kilomètres quinze passés en voiture au niveau de Digor, par souci de tranquillité (…) La route était plus étroite qu’hier et toujours à double-sens de circulation. J’ai souvent cherché une échappatoire à travers champ, mais ça n’a pas toujours été possible. Ma progression sur ce haut-plateau balayé par des vents de plus en plus violents était assez irrégulière. Cette journée sans chaleur excessive m’a tout de même permis d’économiser mes forces.
Le peu de soleil qu’il y a eu, c’était au tout début, lorsque j’ai dédié cette journée et cette marche à la personne qui partage ma vie et mes passions.
Je veux parler de Sylvie, ma compagne, mon épouse. Elle me rejoindra le mois prochain avec nos enfants Herminé et Zadig, quelques jours avant de parvenir à Diyarbakir afin de clore cette marche.
« Sylvie,
tu sais pour supporter de marcher sur des centaines de kilomètres pendant encore trente-deux jours, j’ai compris ce qui me semble être vital. Si je ne pense qu’au terme encore lointain de ce cheminement je vais perdre espoir. Je risque de baisser les bras. Le temps va me coûter au point de vouloir abandonner. C’est certain.
Il me faut donc marcher pour des personnes que j’aime – ce que je m’étais promis à l’origine de ce projet. Pour être plus juste, il me faut marcher avec les personnes que j’aime. Non pas seulement à travers ces « bouquets de prières » si chers à notre amie Rose la bien-nommée, mais aussi chaque jour pour et avec une ou plusieurs personnes précises.
J’ai donc voulu inaugurer ce cycle avec toi Sylvie, ce matin. Et voici ce que je me suis dit, voici que je t’ai dit, un peu après dix heures, juste avant de prendre la route.
Sylvie, nous sommes liés depuis si longtemps. Nous avons connu des jours heureux et j’espère que nous en vivrons d’autres. Nous avons traversé bien des orages et sans doute en connaîtrons-nous de nouveaux. Notre vie commune n’a jamais été un long fleuve tranquille et je dois bien t’avouer que c’est à cause de moi. Je n’ai jamais su t’offrir une vie rêvée. Je n’ai pu te partager que mes angoisses, mes limites, mes errements et mes combats. Malgré tout, tu me soutiens dans mes nombreux projets y compris les plus extravagants comme cette « marche pour la vie et la justice » que j’accomplis en ce moment même. Tu me soutiens avec le pragmatisme qui est le tien. Ta prudence est moins un frein qu’un stimulant. Ta prévoyance est un lien tendu pour m’extraire des sables mouvants de mon insouciance. Heureusement pour moi, ton courage, dont tu doutes trop souvent, est une fenêtre ouverte sur tous les possibles.
A notre mesure, même infime, même insignifiante, nous réalisons ce qui nous semble juste pour rendre justice à celles et ceux qui en sont privés. Il me revient notamment les deux sessions du Parlement des Mémoires que nous avions organisées en 2004 et en 2005 avec nos amis de La Compagnie Artisans de Mémoires et avec l’Institut des Droits de l’Homme de l’Université Catholique de Lyon. Nous étions alors portés par une intuition très forte, écrite à la manière d’un droit fondamental : ‘TOUTE PERSONNE A DROIT AU RESPECT ET À L’INTÉGRITÉ DE SA MÉMOIRE ET DOIT POUVOIR GARANTIR SA TRANSMISSION’.
Sylvie, je crois bien que ce qui nous unit depuis toujours c’est ce combat pour la mémoire et la transmission. C’est un combat intime et universel, pour toi comme pour moi. L’amour que nous partageons n’est pas uniquement lié à l’union de nos cœurs et de nos corps, il est aussi lié à ce combat pour la mémoire des nôtres. C’est ce combat pour la mémoire qui me porte ici sur cette terre.
Sylvie, en cheminant ainsi je pense à tes grands-parents maternels et paternels, tous Arméniens issus de l’ancien Empire ottoman. Ils n’habitaient pas les mêmes régions. Les uns étaient d’Afyonkarahissar et de Kütahya. Les autres étaient originaires d’Alyur Kur, un petit village tout près de Van où il y avait une meule à grains dont j’ai redécouvert les pierres il y a trois ans à l’orée d’un petit bois. Comme presque tous les autres Arméniens de l’Empire, tes grands-parents ont été contraints d’abandonner leurs foyers, leurs vies, leurs rêves.
Sylvie, je pense aussi en écrivant ces lignes aux épreuves que tu as subies et notamment la douloureuse perte prématurée de ta très chère sœur Laurence, d’heureuse mémoire.
Sylvie, cette journée est tienne. Je marcherai pour toi, avec toi. Nous cheminerons ensemble. Nous dialoguerons même, j’en suis persuadé, sur nos projets, nos visions, nos mémoires, nos espoirs. Avec tout mon amour. Pascal »
En route.
Pascal
Toute l’équipe de l’agence de voyages Marietton Herriot te suit pas à pas. Nous t’encourageons et te soutenons à distance.
N’oublie pas que la date de ton billet retour n’est pas modifiable alors ne prend pas trop les chemins de traverses 😉