Samedi 25 juillet 2015.

Vingt kilomètres parcourus en quatre heures vingt-quatre.

Pour la première fois depuis le début de cette marche, j’ai eu la possibilité de quitter la route principale pour emprunter un chemin qui longe le rivage du lac de Van, à 30 km au nord de la ville de Van, entre les villages de Lim et Ayans, en passant par la forteresse naturelle de Amiouk.

Le paysage côtier est splendide, avec ses champs et ses falaises impressionnantes. Le soleil frappe fort, la végétation est très sèche. Les plages ne sont pas prises d’assaut -ce n’est pas la Côte d’Azur. Il faut dire que la notion de plage n’est pas forcément la même. Ici, les vaches aussi ont accès au rivage….

J’ai pris tout mon temps pour flâner et me laisser absorber par la beauté des lieux.

Si j’ai accompli vingt kilomètres -et pas un de plus- c’est pour fêter aujourd’hui les vingt de ma fille, Herminé. Je lui ai donc dédiée cette journée de marche :

 

« Herminé, je suis bien désolé d’être loin de toi aujourd’hui et je t’en demande pardon. Tu en connais les raisons. Je sais que tu n’es pas fâchée parce que tu me soutiens dans la marche pour la vie et la justice que je réalise en ce moment.

Pour ta journée d’anniversaire, je suis allé cueillir des fleurs des champs, dans le village de Lim, à quelques mètres de la plage. J’ai dérangé les mouettes, très nombreuses, qui s’y prélassaient et qui ont du se demander ce que je faisais là. Elles ont eu la gentillesse de me laisser faire. Ce bouquet que tu as vu, grâce aux photos que je t’ai envoyées le jour-même -magie de l’internet- t’attend patiemment. Ce bouquet, je te l’offrirai dès que tu me rejoindras avec ton frère Zadig et avec ta maman Sylvie pour clore cette marche à la mi-août.

J’ai choisi le village de Lim pour composer ce bouquet, parce qu’il se trouve juste en face d’une petite île, l’île de Lim, sur laquelle se trouve un ancien monastère arménien. C’est le monastère Saint Georges. On dit Sourp Kevork en arménien. Sais-tu que la fondation de cet ermitage remonterait au IXe siècle ? Comme tous les autres couvents de cette vaste région, il faisait partie du royaume arménien du Vaspouragan. Il y avait ici, à Lim, des dizaines de moines, un scriptorium en activité jusqu’en 1914, une école philosophique, une bibliothèque qui contenait des milliers de manuscrits, dont plusieurs centaines se trouvent actuellement au Madénataran, le musée des manuscrits anciens à Yerevan. Malheureusement, ce monastère a été complètement dévasté à la suite des Ténèbres qui ont tout emporté il y a cent ans. Ce monastère dont j’ai visité la ruine il y a trois, m’est apparu éventré, sans doute dynamité.

Vois-tu, Herminé, nous pourrions en rester à ce constat navrant, mais toi comme moi savons qu’il n’ y a pas de vie sans espoir. Voilà pourquoi je ne lamente plus. Voilà pourquoi il est si important de soutenir celles et ceux qui s’efforcent de promouvoir une forme de justice réparatrice. Et qui sait, un jour, permettre la reconstruction du monastère de Lim et des nombreux autres monastères qui sont comme les balises de l’histoire arménienne de ce pays.

On aurait tort d’imaginer que cela soit totalement impossible. Regarde. L’église d’Aghtamar, elle aussi dressée sur un ilot du lac de Van, a été restaurée. Il y a même eu plusieurs célébrations religieuses arméniennes depuis la première à laquelle j’ai assisté le 19 septembre 2010. On m’objectera que ce n’est rien. De la poudre aux yeux. Une manipulation (…) Peut-être et alors ! Et après ?

Herminé, puisque c’est aujourd’hui tout anniversaire, j’aimerai te dire que ce jour fantastique coïncide avec le pèlerinage annuel au monastère arménien de Saint Thaddée. Ce monastère extraordinaire qui caractérise la source apostolique de la foi des Arméniens, ne se trouve pas très loin du lieu d’où je t’écris. Il n’est qu’à une centaine de kilomètres, au nord-ouest de l’Iran. Ce monastère faisait également parti du célèbre royaume arménien du Vaspouragan. Evidemment, ça n’est pas en Turquie mais en Iran. Pourtant Saint Thaddée n’a pas échappé au drame de 1915. Ceci étant Herminé, je te souhaite au moins une fois dans ta vie d’aller en pèlerinage à Saint Thaddée. La vision de ce site éblouissant, rénové dans les années 80 et le partage dans la joie et la foi avec ces centaines, parfois ces milliers d’Arméniens, de Syriaques et de Chaldéens qui y convergent pour la fête de Saint Thaddée, te permettront sans doute d’élargir ton propre horizon et d’ouvrir plus largement le champ de ta réflexion.

Herminé, je voudrais enfin te dire combien j’ai été heureux et fier que nous soyons allés ensemble, à Istanbul, pour les commémorations du Centenaire, le 24 avril 2015. Tu as eu le courage d’aller à la rencontre d’une nouvelle génération de citoyens de Turquie, qui ont eux-aussi ouvert leur propre champ de vision de l’histoire et qui tentent d’inventer un avenir fraternel fondé sur la vérité et la justice. Tu vois, Herminé, c’est à la jonction de ces visions, la tienne et la leur, que se trouve un possible chemin d’avenir. A toi de l’emprunter, si tu veux, car au dessus de tout ce que je t’écris, il y a ta liberté. Il y a ta vie, tout simplement. N’oublie jamais que la vie est une grâce.

J’aimerai justement, pour te souhaiter encore un très bon anniversaire, te proposer cette superbe prière écrite par Mère Térésa, d’heureuse mémoire. Cette prière est intitulée La vie est la vie !

 

« La vie est beauté, admire-la

La vie est félicité, profites-en

La vie est un rêve, réalise-le

La vie est un défi, relève-le

La vie est un devoir, fais-le

La vie est un jeu, joue-le

La vie est précieuse, soigne-la bien

La vie est richesse, conserve-la

La vie est amour, jouis-en

La vie est un mystère, pénètre-le

La vie est une promesse, tiens-la

La vie est tristesse, dépasse-la

La vie est un hymne, chante-le

La vie est un combat, accepte-le

La vie est une tragédie, lutte avec elle

La vie est une aventure, ose-la

La vie est bonheur, mérite-le

La vie est la vie, défends-la »

 

A bientôt, Herminé. Je t’embrasse très affectueusement. Ton papa qui t’aime. »