Lundi 27 juillet 2015.
Me voici enfin arrivé face à Aghtamar après quatre heures sept de marche et vingt kilomètres parcourus.
Aghtamar : le joyau du lac de Van !
Comme toujours, tout commence par un conte :
« Il était une fois, il y a bien longtemps,
une jeune femme pré- nommée Tamar qui habitait une petite île de rien du tout, au beau milieu d’un merveilleux lac. Tamar était si belle et rayonnante que tous les hommes auraient aimé la posséder. Or, le coeur de Tamar n’appartenait en secret qu’à un seul de ses prétendants. C’était un jeune homme qui vivait sur le rivage d’en face, de l’autre côté des eaux. Tous les soirs, à la nuit tombée, il rejoignait à la nage sa douce Tamar, qui, pour le guider, portait un flambeau. La jalousie des jeunes mâles insulaires anéantit le miracle d’un si bel amour.
Découvrant cette idylle, ils conspirèrent, prévinrent le père de la belle Tamar, qui, furieux de ce libertinage, étouffa un soir la lampe de Tamar. Sans phare dans la nuit, le nageur au grand coeur se perdit dans les eaux. Avant de disparaître, il s’époumona et cria : « Agh ! Tamar ! » Son râle fut si déchirant qu’il traversa les siècles. »
Il est justement une île extraordinaire, nommée Aghtamar, à l’est de l’Anatolie. Elle est aussi belle que dans le conte. Minuscule pic rocheux, Aghtamar émerge telle une couronne sur les eaux bleues intenses du lac de Van. Sur ce roc, un roi arménien, Gaguik, bâtit au Xe siècle une église, devenue siège patriarcal avec ses dépendances et ses moines. Bijou de l’architecture médiévale arménienne avec ses proportions intimes et élancées, ses riches bas-reliefs bibliques et populaires finement ciselés, ses pierres précieuses garnissant les yeux des personnages sculptés, l’église Sainte Croix d’Aghtamar devint le joyau d’une civilisation chrétienne orientale, enracinée autour du lac de Van et du Mont Ararat. C’est cette civilisation arménienne qui a été anéantie entre 1915 et 1917.
Laissée à l’état de ruine durant près d’un siècle, souillée et pillée, l’église Sainte Croix a été restaurée et inaugurée en tant que musée en mars 2007, à grand renfort de publicité politique. Là, pour la première fois depuis le « Grand Mal / Medz Yeghern » une messe a été célébrée, le 19 septembre 2010. J’en ai été témoin. C’était un très beau dimanche d’été, chaud et sec. C’était un jour de fête. La Fête de la Sainte Croix. Ce jour-là le vice-patriarche arménien d’Istanbul, Aram Ateshyan est venu célébrer la divine liturgie en l’église Sainte Croix d’Aghtamar. La messe qui y a été célébrée a été diversement interprétée. Propagande pour beaucoup, premier pas pour certains. Les Arméniens d’Istanbul sont venus en nombre mais sans excès pour assister à cette célébration hors norme, à mille-six-cents kilomètres à l’est de la mégapole turque. Quelques groupes d’Arméniens sont également venus du Liban, d’Iran, de France, des États-Unis et d’Arménie. Yerevan n’est qu’à deux cents cinquante kilomètres, à vol d’oiseau, mais les hommes ont des frontières que les oiseaux ne connaissent pas.
Joyau de l’architecture médiévale arménienne, dans une région exceptionnellement belle – le Vaspouragan – considérée comme le cœur battant de l’Arménie historique, l’église Sainte Croix d’Aghtamar cristallise les conflits et les défis qui caractérisent les relations arméno-turques. Avant 1915 on recensait plus de 2350 églises, monastères et monuments religieux arméniens dans les provinces arméniennes de l’Empire ottoman. Ils ont presque tous été détruits, confisqués et dégradés. Ils sont devenus de véritables « charniers de pierres », ultimes stigmates de la civilisation arménienne. La restauration d’Aghtamar vaut-elle compensation des crimes et des outrages commis ? Depuis le 19 septembre 2010 je m’interroge.
J’ai dédiée cette journée de marche à mes amis de Beauzac, Nathalie, Emmanuel et Tsolag.
« Nathalie,
nous avons aujourd’hui cheminé ensemble en mémoire de tes grands-parents. Ils étaient originaires de Diyarbakir et de Malatia, deux régions très sauvagement éprouvées il y a cent ans. Tu sais sans doute Nathalie que l’église Saint Cyriaque de Diyarbakir a été restaurée –comme à Aghtamar. Est-ce un signe ? Je n’en sais rien. Tu sais sans doute aussi que Diyarbakir est le terme de cette marche, si la situation dans le pays ne se dégrade pas trop. J’aimerai tant pouvoir y vivre la fête de l’Assomption et la bénédiction du raisin. J’aimerai tant trouver des raisons d’espérer (…)
Nathalie, nous avons longtemps cheminé ensemble sur des chemins d’Arménie qui nous ouvert le coeur et l’esprit et forgé notre conscience humaine. C’est cet état de conscience qui guide mes pas. Cette conscience d’une humanité qui crie son besoin de tendresse.
Emmanuel, voici déjà bien longtemps tu as unis ta vie à celle de Nathalie. Sans pour autant être d’origine arménienne, tu as épousé son histoire et ses mémoires. C’est avec toi aussi que j’ai marché aujourd’hui. Je me suis senti porté par ta sensibilité et ton art de vivre.
Enfin Tsolag, j’ai longuement pensé au cours de ma journée de marche au chemin de vie qui s’ouvre devant toi. Toi, l’enfant de Nathalie et Emmanuel. Toi, qui porte un prénom plein de promesses. Tes parents m’ont dit que Tsolag signifie ‘Regard brillant’ en arménien. Avec un tel talent je t’imagine comme un phare dans la nuit noire guidant les bateaux vers le rivage. Du haut de tes douze ans Tsolag, le siècle que tu embrasses cherche aussi un rivage apaisant et un avenir brillant. Oui Tsolag, notre humanité a besoin de paix et de lumière. Il suffit parfois d’un regard brillant dans la nuit pour que rayonne la tendresse.
Nathalie, Emmanuel et Tsolag, je vous embrasse. »
A demain.
Coucou,
Ton récit sur “Arthamar” (sic pour l’orthographe…) me fait ici faire mémoire d’ ARAVNI, ma belle mère, qui m’ a et vous a trés souvent raconté cette si belle histoire. Au début je croyais que c”était une histoire qu”elle imaginait puis j’ ai compris que ce n’était pas du fait de son imagination mais un souvenir qu’elle avait de son beau pays. Aravni qui savait si bien dire des poésies, des chants arméniens à en faire venir des larmes dans les yeux de Garabed, son mari. Sa poésie se retrouvait aussi dans toute sa cuisine dont on a pu apprécier les saveurs arméniennes car derrière ces mets c’était le souvenir de son pays. Merci Aravni et Garabed.
Mes enfants ce sont eux qui vous ont mis sur ce chemin d’Arménie, et toi Pascal là vers Arthamar.
Je t’embrasse. Maman.
Jolie histoire mais un peu triste quand même…
Je ne sais pas si tu te rappelles mais mes pépettes ont également deux petits prénoms qui évoquent la beauté : la fleure et l’espoir : la lumière : chouchane et louise.
Pourquoi je te parle de cela certainement en lisant le prénom de tsolag.
Bizz
Agnès
” Puisque chaque jour se renouvelle, renouvelle-toi chaque jour, et toujours renouvelle-toi.” Livre des rites
{extrait de: “Et le Souffle devient vie” de François Cheng, écrivain, poète, un cheminement spirituel qui résonne en moi et qui m’accompagne dans le mien, je te le partage}
Je dois apprendre à me renouveler. Je ne sais pas encore comment faire ?
Cher Pascal,
Merci de nous avoir permis de cheminer à tes côtés le
long de ce parcours si chargé d’un passé beau dans sa légende,
douloureux dans son histoire, et surtout plein de vie présente et
future.
Nous t’embrassons très fort .
Nathalie,Emmanuel,Tsolag