Mardi 28 juillet 2015.
En laissant à regret Aghtamar, j’ai poursuivi ma route en direction de Tatvan. Vingt kilomètres plus loin et après quatre heures trente-deux de marche, je suis arrivé au village de Balaban.
Chemin faisant, je suis passé à proximité du monastère Saint Thomas de Kantzag. Je ne m’y suis pas rendu car il eu fallut que j’emprunte le sentier côtier sur 17 kilomètres, ce qui m’aurait écarté de mon itinéraire. Néanmoins, pour y avoir été il y a quelques années, je peux vous dire tout l’intérêt d’une telle visite. Si un jour vous vous y rendez, ne vous y trompez pas. Ne demandez pas le village de Kantzag. Le monastère Saint Thomas se trouve sur le territoire de la commune d’Altınsaç. Les noms des villages ont en effet presque tous été modifiés.
Le monastère de Kantzag est l’une de ces sublimes ruines que l’on présente comme une visite de grand intérêt touristique ! Cela fait parti des programmes établis par les agences touristiques locales. C’est vrai que depuis le promontoire où il est érigé, la vue sur le lac est sublime. Ceci dit, pour les Arméniens Saint Thomas de Kantzag c’est autre chose qu’une belle ruine. C’est une histoire, un héritage, un patrimoine inaliénable.
Attesté dès 1339, le monastère était dédié à l’apôtre Thomas du fait de la présence de ses reliques. On a même dit qu’il abritait le tombeau de ce compagnon du Christ. Comme beaucoup d’autres, ce monastère était aussi un scriptorium. Il a été saccagé pendant les massacres hamidiens de 1895 puis à nouveau en 1915. Transformé en étable, pillé comme tous les sites arméniens par des chercheurs d’or, le monastère est considérablement fragilisé. A ma connaissance, il n’y a pas de programme de restauration prévu, même si des touristes viennent de temps à autre s’émerveiller devant de si vieilles pierres !
Quand je pense à Saint Thomas de Kantzag, je pense à Stéphane Boudoyan qui en a réalisé une photographie exceptionnelle, dont un tirage géant est visible dans la salle des fêtes de l’Eglise Apostolique Arménienne de Lyon. Regarder cette reproduction c’est d’une certaine manière effectuer un voyage immobile et se transporter d’un seul coup d’œil en ce lieu fantastique.
C’est justement à Stéphane, son épouse Gisèle, leur fille Katia et leur petit fils Aram que j’ai dédié cette journée de marche.
« Stéphane, Gisèle, Katia, Aram, je vous salue très amicalement du rivage de Van que vous connaissez si bien.
Depuis presque 50 ans Stéphane tu viens fouler cette terre. Ta terre. Année après année, voyage après voyage, tu photographies inlassablement le patrimoine arménien. C’est ainsi que tu en prends soin. C’est ainsi que ces églises et ces monastères ne tombent pas dans l’oubli de l’histoire. C’est ainsi que tu les fais vivre, même à l’état de ruines. C’est ainsi qu’elles survivent au néant.
Ton œuvre documentaire et iconographique est exceptionnelle. Tu as accompli ce travail, avec l’aide de Gisèle et de Katia en toute discrétion. Tes expositions photographiques ont été aussi rares qu’importantes.
J’imagine que souvent la vision de ces « charniers de pierres » a dû te retourner le coeur, mais tu as toujours gardé ces ressentiments pour toi. Je ne t’ai jamais entendu prononcer un seul mot de dégoût ou de haine, sans doute parce que tu sais que le fiel qui coule de la bouche ne produit rien de bon.
Ta sagesse face au vertige de l’histoire est une vertu dont les Arméniens devraient tirer quelques leçons. Et je dois bien l’avouer, moi le premier (…)
En parcourant inlassablement ces lieux de mémoires, tu ne viens pas seulement sur les lieux du Crime, tu viens aussi sur les lieux de Vie des Arméniens. Tu viens honorer leurs mémoires.
A la source de ton histoire filiale, ainsi que celle de ton épouse Gisèle, il faut mentionner Van, bien-sûr, mais aussi Bursa et Yozgat. C’est en mémoire de tes aïeuls, de vos aïeuls, que j’ai marché aujourd’hui. Pour vous, avec vous.
C’est en pensant à toi aussi Katia et à ton fils Aram, que j’ai cheminé. Tu es imprégnée de cet univers de connaissance et de sagesse que tes parents t’ont légué. Puisses-tu trouver l’accomplissement que tu mérites (…)
Stéphane, permets-moi de te remercier. Tu es un précurseur. Si je foule cette terre, si je marche dans ce pays, c’est en partie grâce à toi. A ma manière, je ne fais que poursuivre ce que d’autres ont initié.
Stéphane, Gisèle, Katia, Aram, je vous embrasse. »
Au plaisir de nous retrouver demain.